Homélie du mercredi 17 février 2021

26 Fév 2021 | Homélies

Père Gilles Rousselet

Mercredi des Cendres – Jl 2, 12-18 ; Ps 50, 2Co 5, 20-6, 2 ; Mt 6, 1-6. 16-18

Dans ce passage de l’évangile selon saint Matthieu que nous venons d’entendre en ce mercredi des Cendres, nous sommes en plein cœur des exemples qu’il donne pour illustrer cette affirmation : « Je ne suis pas venu pour abolir la Loi, mais pour l’accomplir. » Le terme « accomplir » a une signification qui est proche de celle de « remplir » ; c’est-à-dire de donner tout son sens à la Loi, de lui donner toute sa densité. Ce n’est pas une compréhension intellectuelle, mais vraiment la plénitude de la Loi telle que nous devons la vivre. Et là, il va donner dans ce passage, dans tout ce développement, six exemples choisis pour nous introduire dans le temps du carême. Les trois fondamentaux : prière, partage, pénitence et la manière dont nous devons les vivre.

Il y a un petit mot qui doit arrêter notre attention dans ce passage, c’est le mot « secret ». On pourrait assimiler ce mot « secret » à « être en vérité ». Parce que c’est un fait que, à nos propres yeux, on peut se cacher des choses, on peut aussi les cacher aux yeux des autres ; mais aux yeux de Dieu, ce n’est pas possible. Et ce qui est très beau, c’est qu’on a d’autant plus de raisons d’être en vérité devant Dieu qu’il est vraiment présenté ici comme un Dieu de miséricorde. Un Dieu dont la miséricorde est la puissance de sa paternité. Quand nous confessons notre foi dans le Credo, nous croyons en un « Dieu Père tout-puissant ». La toute puissance de Dieu s’exerce dans sa paternité. Et sa paternité est très belle, car vous savez que la paternité dans la vie d’un enfant, c’est de lui permettre d’être vraiment lui-même, de s’épanouir pleinement dans son être. 

Alors que ce n’est pas la même stratégie que celle du démon. Et c’est pour cela que dans le temps du carême nous parlons aussi de combat spirituel. Le démon n’a pas du tout envie que nous soyons en vérité, ou alors, si nous sommes en vérité, c’est pour nous écraser sous le poids du péché. Le démon nous dit « Tu n’as pas besoin d’être toi-même devant Dieu. Sois ce que tu veux être, indépendamment de ce Dieu qui dit t’aimer, mais ne t’aime pas tel que tu es. » Le cheminement du carême, c’est un cheminement pour être en vérité devant Dieu, tel qu’il nous aime.

Il y a un premier principe que nous avons lu dans la première lecture : c’est ce qu’on appelle la contrition, ou la repentance. Il y a dans nos vies parfois une certaine dureté du cœur, ou de renfermement, ou d’ignorance qui nous fait dire « Je ne suis pas si pécheur que ça, je ne suis pas pire que les autres. À quoi bon aller me confesser, qu’est ce que je pourrais dire ? » Ou alors « À quoi bon aller me confesser puisque je dis toujours les mêmes péchés. » Voyez ce que nous dit la première lecture : la repentance n’est pas un petit nettoyage superficiel, mais c’est aller au plus profond de soi-même. Et avec Dieu nous pouvons y aller, puisqu’il nous aime tels que nous sommes. Et lui-même n’est pas du tout dans l’ignorance de la conséquence du péché, puisqu’il l’a porté pleinement. C’est ce que nous dit la deuxième lecture : « Celui qui n’a pas connu le péché, Dieu l’a pour nous identifié au péché. » Pourquoi a-t-il fait cela ? Pour être solidaire des pécheurs que nous sommes.

Ça veut dire que d’une manière très concrète, le chemin le plus direct, le plus sûr le plus absolu, le plus secret pour entrer en relation avec ce Dieu qui est Père, c’est précisément de nous reconnaître pécheur. Et quand nous allons entendre tout à l’heure cette parole, que je dirai une seule fois pour tous « Convertis-toi et crois à l’Évangile » c’est exactement ça : n’aie pas peur de te reconnaître pécheur. Ce qui serait dramatique, c’est que tu ne te reconnaisses pas pécheur. Ça voudrait dire que tu es soit dans l’ignorance, soit dans une certaine forme de mensonge. N’aie pas peur de te reconnaître pécheur ! Et crois en l’Évangile, c’est-à-dire crois en ce Dieu qui, en Jésus Christ, est venu se révéler comme un Dieu de miséricorde. Il ne retient aucun jugement, aucune condamnation. Il n’a qu’un seul désir : t’établir dans la plénitude de ton être, libéré du poids de la culpabilité. La seule chose qui nous est demandée, et j’en suis à peu près convaincu à cause de mon expérience de pécheur (pas de pêcheur à la ligne, mais de pécheur de péché…) c’est que c’est le chemin le plus direct. La voie ordinaire de la miséricorde, c’est le sacrement de la réconciliation. La voie ordinaire, pas une voie détournée ou une voie exceptionnelle ! La voie ordinaire pour recevoir la miséricorde de Dieu, c’est le sacrement de la réconciliation.

Peut être qu’une première question que nous pouvons nous poser en entrant dans ce carême est : quand est-ce la dernière fois que j’ai profité pleinement de la miséricorde de Dieu qui m’ait complètement renouvelé en allant voir un prêtre pour recevoir le sacrement de la réconciliation ? Vous avez entendu ce que dit la deuxième lecture, comme une plainte : « Laissez-vous réconcilier par le Christ ». Ce n’est pas une plainte qui s’adresse à certains d’entre nous qui seraient pécheurs et pas les autres ; tant mieux pour vous ! Je dirai plutôt tant pis pour vous, vous ne recevrez pas la miséricorde… C’est une plainte qui s’adresse à chacun d’entre nous : « Laissez-vous réconcilier par le Christ. » Jésus est venu réconcilier en nous tout ce qui s’est éloigné de Dieu, par nos pensées, nos paroles, nos actes, par omission, par tous ces actes et paroles qu’on a pu prononcer, dire ou faire ; ou ne pas dire et ne pas faire et qui nous ont un tant soit peu éloignés de Dieu. Dieu souffre de cet éloignement, de notre péché. La Parole de Dieu nous dit « Laissez-vous réconcilier ». Et celui qui dit ça a fait une expérience extraordinaire de ce jugement très particulier de Dieu qui s’appelle la miséricorde. Saint Jean Paul II disait « La miséricorde de Dieu, c’est l’amour au-dessus de la justice. » il n’y a pas d’autre moyen pour Dieu, d’après les Ecritures, pour manifester son amour que par sa miséricorde.

Notre Dieu, fondamentalement, est un Dieu qui nous aime en nous sauvant, en nous pardonnant. Ce n’est pas un Dieu qui va récompenser les justes ! C’est un Dieu qui vient justifier les pécheurs ! « Jésus » ça veut dire « Dieu-sauve et Dieu-guérit ». Jésus dit « Je suis venu appeler les malades et les pécheurs. » Il n’a pas dit je suis venu appeler les justes.  Il dit « Les pécheur que vous êtes, je suis venu les justifier, les rendre justes. » Et c’est ça véritablement la source de la joie immense des chrétiens : nous avons le privilège de savoir que le chemin le plus direct pour entrer en relation avec Dieu, c’est de nous reconnaître pécheur. Est-ce que c’est si difficile que ça ? Je veux dire que ça ne nous est pas si difficile de pécher. C’est un peu plus difficile de lutter contre la tentation, mais nous avons l’Esprit Saint en nous, nous avons toutes les armes nécessaires. Mais « si notre cœur nous condamne, dit l’Écriture, Dieu est plus grand que notre cœur. » Pourquoi est-ce difficile de nous présenter devant Dieu, reconnaître que nous sommes pécheurs et recevoir par la grâce du sacrement de l’ordre, le sacrement de la réconciliation qui nous établit de manière instantanée dans l’état originel de notre baptême ? C’est là la joie, la joie chrétienne : être renouvelé dans tout notre être, dans notre être d’enfant de Dieu, héritier du Royaume de Dieu.

Le mercredi des Cendres, il y a trois domaines qui sont ainsi renouvelés par la grâce (gratuite, c’est la définition de la grâce, c’est gratuit) : notre relation sociale, dans notre manière de faire l’aumône, faisons-le par amour. Dieu vient rétablir tous nos liens sociaux.  Notre relation à Dieu par la prière. Et notre relation avec notre corps, dans la justesse de notre relation avec notre corps qui est le temple de l’Esprit Saint, dans le jeûne.

Par ce carême, qui est « le printemps de l’âme », que nous soyons totalement renouvelés dans notre être d’enfant de Dieu. Que vraiment nous ne soyons pas des chrétiens à face de carême, mais à face de Pentecôte, embrasés de l’Esprit-Saint.

Amen