Homélie du Jeudi 1er avril

4 Avr 2021 | Homélies

Jeudi Saint

Père Gilles Rousselet

Hier, nous avions une réunion avec les intervenantes du collège Saint Marceau et de la Providence pour préparer la retraite de confirmation, qui peut-être n’aura pas lieu… Enfin, on commence à être habitués à préparer des choses qui n’auront pas lieu, à adapter, réadapter… Ça nous donne dans l’Esprit-Saint, il faut bien le reconnaître, de la souplesse ! Tout à l’heure, dans la prière, ça ne vous a pas échappé, j’ai parlé d’une célébration qui a lieu le jeudi soir…

Et donc j’expliquais l’intérêt de la mystagogie : vous savez ce qu’est la mystagogie : on vit le mystère, la célébration, par exemple le lavement des pieds, et après on aide à entrer dans le mystère. Ce n’est pas une démarche intellectuelle, mais au travers de ce qu’on a vécu, une expérience forte. Imaginez que sans vous le dire (maintenant ceux à qui on va laver les pieds ont été prévenus, ont pu se préparer ; personne n’est étonné de ce geste sauf si vous venez pour la première fois) mais imaginez qu’on ne soit pas du tout au courant ; on vous dit de venir vous asseoir, d’enlever vos chaussures parce qu’on va vous laver les pieds !

Et encore, le pape François, et déjà avant lui le pape Jean-Paul II, embrasse les pieds ! Moi, je ne peux pas le faire, je suis désolé, mais c’est magnifique ce geste ; il n’est pas liturgique a priori, mais il dit l’immense respect que le ministre a pour vos pieds. Et d’ailleurs pas seulement pour vos pieds : comme il est dit dans l’évangile, « pas seulement les pieds, mais aussi les mains et la tête ». C’est tout votre être qui est embrassé par le respect et l’immense tendresse de Dieu.

Vous avez vu que Jésus fait une mystagogie ? Il fait l’acte, et faire comme ça est assez extraordinaire parce que ça permet de révéler les pensées secrètes de chacun. Vous avez vu la réaction de Simon-Pierre ? Mais qui n’aurait pas réagi comme cela ? J’ai connu dans ma vie de prêtre, comme célébrant du Jeudi Saint, que ce geste est très difficile. Et je me demandais en moi-même de qui je l’accepterais spontanément ? Moi, j’aimerais bien qu’un frère me lave les mains, les pieds pardon ! C’est une déformation professionnelle mais j’aime beaucoup ce geste à l’entrée de l’église de laver les mains. On est capable d’inventer des choses : se regarder dans les yeux avec un sourire pendant que je te lave les mains… comme c’est beau ce geste !

Je me demandais de qui j’accepterais qu’on me lave les pieds… J’y ai un peu réfléchi, je ne sais pas ce que vous vous en pensez. Il y a des choses qui sont difficiles, mais je pense que sur un lit d’hôpital, un lit de souffrance, j’accepterais qu’un infirmier me lave : il y a des circonstances comme ça. Mais là, c’est le Seigneur !

Au travers l’évangile, et nous allons faire cela après, laissons-nous pénétrer par la signification profonde de ce mystère. Vous voyez que toute la table du Jeudi Saint descend vers vous pour que nous fassions l’expérience que nous sommes tous rassemblés autour de l’autel. Nous célébrons ensemble cette cène et nous en sommes tous les bénéficiaires ; il n’y a plus de séparation entre ce qu’on appelait avant le « Saint des Saints » vous savez il y avait encore dans cette église il y a quelque temps une barrière pour marquer la frontière. Les gens venaient révérencieusement au pied de cette barrière de communion pour recevoir la communion. Il n’y a plus de séparation, « le rideau du temple est déchiré ». Et cette table signifie que nous avons tous part à ce repas.

Pour autant, dans l’évangile, il n’y a pas l’instauration de l’eucharistie. Heureusement on a la deuxième lecture pour comprendre ce qui se passe. La caractéristique extraordinaire de Saint Jean est que Jésus, dans ce geste prophétique, va nous expliquer ce qu’il fait au cours du triduum pascal. Et c’est une mise en lumière de cette phrase de l’évangile qui est bouleversante « Jésus ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout. » Je me suis souvent demandé comme prêtre, comment traduire ce « jusqu’au bout ». Si on reprend l’image de la situation, et je pense que dans l’Église en ce moment, l’image est très parlante. C’est comme quelqu’un qui est au fond d’un gouffre. Jésus ne nous sauve pas en envoyant une corde : « Attrape la corde ! Vas-y, hisse-toi ! » En fait, ce que Jésus fait, dans sa Passion, c’est qu’il descend au fond du gouffre, au plus profond. Il n’y a pas d’abîme plus profond que celui dans lequel Jésus va descendre. Au point que, après sa mort, il descend aux enfers. Tous les récits d’Évangile nous montrent ce « jusqu’au bout », c’est-à-dire jusqu’au fond ! Et une fois que Jésus est au fond du fond du gouffre, c’est-à-dire au bout, il ne dit pas « Allez maintenant vas-y, monte ! » Il prend la personne, chacun de nous, sur ses épaules et il remonte cette personne : « Quand je serai élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes ». Ce que Jésus vit là, dans ce geste, c’est cette descente qu’il attend de chacun de nous. Vous avez peut-être entendu parler de la décision des évêques sur la question de la pédophilie dans l’Église ; les évêques disent qu’en fait il faut que l’Église descende au fond du gouffre. Et pas de rester à la surface en disant « on vous lance une corde, remontez ! »

À mon avis, quand Jésus dit « Faites ceci en mémoire de moi », il dit quel doit être le geste de l’Église, et en particulier celui des pasteurs ; de quelle manière on exerce l’autorité. Pas en restant à la superficie ou dans la supériorité, mais en descendant le plus profondément possible. Comme Charles de Foucauld qui voulait être le plus près du Christ et a cherché la dernière place. Jusqu’au jour où il a trouvé que la dernière place était déjà prise et qu’il a cherché la place la plus proche. C’est là, la place de l’Église ; c’est là, la place véritable des chrétiens : au fond du gouffre pour manifester la miséricorde de Dieu. Ça veut dire qu’on en a fait l’expérience.

Et c’est ce qui se passe en particulier le Jeudi Saint. Parce que Jésus, dans l’évangile, enlève son manteau, son habit ; et vous savez que dans la bible le manteau est l’être même de la personne. Jésus renonce à sa gloire en enlevant son habit ; et il se fait esclave. Car ce dont il est question ici, c’est le geste de l’esclave ! À notre époque, ça ne parle plus… Quoique, qui parmi nous n’a pas fait l’amère expérience d’être l’esclave de la télévision, de la cigarette, de la nourriture, de l’alcool, du sexe…L’esclavage existe encore ! Cela dit, un esclavage auquel on consent finalement… Eh bien, Jésus se fait esclave car c’étaient les esclaves qui lavaient les pieds. Il faut comprendre ce qui se passait : quand les gens arrivaient (nous on a de belles chaussures toutes propres, de belles chaussettes, probablement que nous nous sommes lavé les pieds) au temps de Jésus, les gens marchaient en sandales dans la boue et dans la terre. Et quand ils venaient se mettre à table, là où ils étaient invités, on n’était pas sur des sièges où on pouvait cacher nos pieds sales, on était allongé. Alors pour que les gens se sentent bien, les esclaves venaient laver les pieds. Il y avait la remise en dignité de la personne pour qu’elle se sente bien. Et c’est ce que Jésus fait dans ce geste-là, tout ce qu’il va accomplir. C’est nous qui sommes sales à cause de nos péchés. Nous qui sommes plongés au fond de l’abîme, de la misère, du péché et de tout ce qu’on peut imaginer de pire… Jésus est descendu, il s’est fait le dernier de tous, pour nous laver les pieds. C’est pour ça que quand Simon-Pierre dit « pas seulement les pieds, mais les mains… » (c’est toujours les excès de Pierre ! Comme nous « Ah non, je ne veux pas que tu me laves ! » C’est un manque d’humilité par excellence !) « Je ne veux pas que tu me laves les pieds… »  et juste après « lave-moi tout entier ». Toute mesure égale par ailleurs, si tu comprends bien le geste qu’il fait, et il va l’expliquer après, tu n’as pas besoin d’être lavé en entier.

Jésus dit « vous êtes purs ». Dans le lavement des pieds, ce qui est intéressant, c’est qu’il dit « vous n’êtes pas tous purs ». Evidemment, il parle de Judas. Et ça nous aide à comprendre quand il dit qu’il nous veut purs. C’est-à-dire qu’il nous plonge dans son amour, dans son « précieux sang ». C’est une expression que j’aime beaucoup. Par le précieux sang de Jésus, tout est purifié, tout est sanctifié, tout est consacré, tout est fécondé. Et en fait, quand il dit « non, vous n’êtes pas tous purs», il ne dit pas que vous ne vous êtes pas bien lavés à la brosse à reluire, ce n’est pas ça. Il dit « on n’est pas pur si on n’accepte pas d’être aimé de cette manière-là. » C’est le drame de Judas : il a refusé d’être aimé, d’être pardonné. Et il s’est laissé envahir par une autre attraction qui est celle de l’argent, du pouvoir. Vous voyez que la pureté n’a rien à voir avec un aspect moral : « moi, je n’ai pas commis de péché pendant le carême, j’ai fait un bon carême, je suis nickel ». Ça n’est pas de cet ordre-là : être pur, c’est être purifié par l’amour de Dieu, accepter qu’il donne sa vie pour le pécheur que je suis. Et ne pas imaginer que, après tout, je ne suis pas si pire que ça. Au contraire, je pense que les plus purs d’entre nous, ce sont ceux qui ont vraiment conscience de leurs péchés et qui sont pardonnés, purifiés dans le sang du Christ. Quelle magnifique expérience. Et c’est vraiment ça que Jésus demande.

Et quand Jésus parle de la purification, Jésus l’accomplit dans tous les sacrements. Des fois je dis aux chrétiens « Allez-vous confesser ! » Vous vous rendez compte de ce que fait Jésus dans la confession. Il vous rétablit dans la pureté originelle de votre baptême : vous saviez ça ? « Oh non, je ne vais pas me confesser, je n’ai pas beaucoup de péchés… » mais pétard, Jésus te rétablit dans son précieux sang ! Il te rétablit dans la pureté originelle de ton baptême ! C’est à dire que si tu meurs après t’être confessé, tu sais ce qui se passe ? Tu vas directement au ciel ! Vous vous rendez compte ? On ne sait pas ce qui peut se passer après la confession… Mais si je ne vais pas me confesser, il ne se passera pas grand-chose après ! Mais si je vais me confesser, vraiment dans un état de contrition, si je meurs, là, je vais directement au paradis. C’est une perspective qui vous intéresse ?

Et c’est comme ça dans tous les sacrements. « Faites ceci en mémoire de moi » Jésus dit de continuer l’eucharistie, mais dans son sens le plus profond : pour que l’Eglise devienne sacrement de la miséricorde, sacrement de la purification ; non pas une purification morale, mais que pour des personnes qui viennent de l’extérieur, à la rencontre de la communauté chrétienne ; tellement de personnes baignées dans la tendresse et la miséricorde de Dieu qu’elles vont être purifiées, se sentir aimées.

C’est la mission de l’Église. Et c’est toujours ce qu’il faut se poser comme question : est ce que nous sommes un bain purificateur de toutes les personnes qui viennent à la rencontre de notre communauté ? C’est-à-dire est ce que les personnes font, concrètement, l’expérience d’un amour qui va jusqu’au bout.

Vous voyez par exemple, « Marthe et Marie » la caravane qui est pour l’instant garée dans le parking du presbytère [un projet paroissial solidaire à la rencontre des personnes démunies – NDLR], pour moi c’est un début de (mot inaudible).

De la part de mes paroissiens qui ont eu cette idée-là, moi, je suis un curé fier !

Maintenant, je vais passer à l’acte…