Homélie du mardi 7 avril 2020 – Père Gilles Rousselet

7 Avr 2020 | Actualité, Homélies

Mardi de la Semaine Sainte -année A Is 49, 1-6 , Ps 70(71), Jn 13, 21-33, 36-38)

Continuons à cheminer avec la Parole de Dieu, Parole vivante, Parole qui est comme un glaive à double tranchant et dont la fécondité est comparable à cette “pluie qui tombe du ciel et qui n’y retournera pas sans avoir accompli ce pour quoi elle est venue”. La fécondité de cette Parole c’est notre conversion, notre metanoïa, notre retournement. Et la  manière finalement la plus simple de parler de ce retournement, c’est cette assurance que sans Dieu nous ne pouvons rien. Jésus nous dit par ailleurs “Malheureux êtes-vous si vous oubliez que sans moi, vous ne pouvez rien faire.” On ne peut pas vivre, on ne peut pas respirer, on ne peut pas penser et en particulier par soi-même avoir l’assurance que notre foi est inébranlable, que notre espérance ne lâchera pas  et que notre amour sera toujours brûlant. C’est possible parce que Dieu le veut ainsi. Il y a cette interpellation, ce petit nom plein de douceur et de tendresse que Jésus nous adresse dans cet évangile “Petits enfants”. Nous sommes de petits enfants. Parfois dans notre vie spirituelle nous suivons la même courbe que dans notre vie sociale : l’indépendance et l’autonomie. C’est une très bonne chose dans notre vie sociale, en même temps nous ne pouvons jamais oublier que nous sommes dépendants les uns des autres, qu’il y a toujours quelqu’un dépendant de nous. Et ce temps de confinement nous en donne la preuve de manière quotidienne : nous sommes dépendants les uns des autres. Dans la vie fraternelle, cette dépendance s’appelle aussi la charité ; nous ne pouvons pas vivre seuls. Même les moines à Saint Benoît, confinés pour le plus grand nombre sont dépendants les uns des autres et nous sommes aussi dépendants d’eux.

Que pouvons-nous découvrir dans l’évangile aujourd’hui ? D’abord, essayons de plonger avec la Vierge Marie, de nous approcher de la croix du Christ en communion de vie avec Marie, parce que l’Amour de Dieu se manifeste, cette gloire dont Jésus parle dans l’évangile est brûlante ; et d’une certaine manière, il nous faut l’approcher avec le manteau ignifugé de la Vierge Marie, c’est à dire son humilité. Qui d’entre nous peut dire qu’il peut s’approcher du Christ, de sa croix, sans cette protection, cet accompagnement particulier de la maternité spirituelle mariale, qui est la mission qu’elle a reçu ?

Jésus fut bouleversé en son esprit”. Je ne sais pas comment on peut dire exactement cette expression, mais c’est vraiment ce qui le tourmente le plus en lui-même. Evidemment, il y a cette perspective de la Passion, pour laquelle Jésus demandera à son Père “Si c’est possible que cette coupe s’éloigne de moi. Mais non pas ce que je veux, mais ce que tu veux.” Et là, ce qui le bouleverse dans son esprit, c’est le témoignage, ce qu’il dit juste après “Amen, amen, je vous le dis : l’un de vous me livrera.” Ce qui bouleverse Jésus, c’est le refus de l’accueillir, le refus de son salut. On ne sait pas bien pourquoi Judas agit de cette manière là. Certains disent qu’il a voulu protéger Jésus parce qu’il pensait que sa manière d’être et de vivre allait faire échouer l’ère messianique. En tout cas, il y a un signe : il aimait l’argent. On ne peut pas dire qu’on sert Dieu et en même temps servir Mammon, le dieu de l’argent, avoir un tel attachement au profit personnel, aux biens matériels. Ce qui est assez étonnant c’est que Jésus va désigner Judas en lui donnant cette bouchée qu’il va tremper dans le plat. Pour un Juif, cette attitude là signifie donner sa bouchée à son ami le plus proche. Jusqu’au bout, Jésus va essayer de garder Judas auprès de lui et c’est seulement à partir de ce moment là, la bouchée, que le diable entre en Judas. Il y avait quelque chose qui était prédisposé en lui, probablement cet amour de l’argent qui l’a fermé à la grâce.

Voyez Simon Pierre : lui aussi a renié le Christ. Et c’est la deuxième attitude que nous pouvons remarquer : avec cette espèce d’auto-assurance “Moi, je te suivrai jusqu’au bout” il peut y avoir en nous cette auto-assurance : “Moi, dans les épreuves, je tiendrais, il n’y a pas de problème.je suis sûr que je tiendrais.” Et ça peut être parfois accompagné d’un jugement intérieur vis à vis de ceux qui nous semblent plus fragiles, plus vulnérables, moins sûrs d’eux. Jésus va annoncer à Simon Pierre “Le coq ne chantera pas avant que tu m’aies renié trois fois”. Et quand Simon Pierre va effectivement renier le Christ trois fois, il se rappellera ce que Jésus avait dit lorsqu’il entendra le coq chanter.

 Mais la différence entre Simon Pierre et Judas, et c’est important de le souligner, c’est que Simon Pierre va croiser le regard de Jésus. Et dans ce regard, il comprend qu’il est pardonné.

L’autre attitude est celle des disciples, même si elle est moins explicite. Quand Jésus annonce que l’un d’entre eux va le trahir, ils demandent “Qui est-ce ? Qui est-ce ?” En fait, ça peut être moi, ça peut être moi… Thérèse de Lisieux demandait toujours pardon pour les péchés dont elle était préservée. Ce péché-là, je peux le commettre, moi. Si je ne commets pas tel péché, c’est parce que je suis protégé, pas parce que je suis meilleur que les autres ; c’est trop risqué de dire ça. Et parmi les disciples, pas un n’a dit “Ca peut être moi au fond” Et je pense que c’est une réalité “ça peut être moi…” Je peux trahir, ce péché dont je suis témoin et qui soulève en moi un jugement, une réprobation (ce qui est bon, je veux dire que je dois juger le péché, mais pas le pécheur) ce peut être moi si Dieu ne m’en préserve pas, je peux tomber de la même manière.

Une autre attitude encore importante, c’est celle de Jean. La tradition dit qu’il s’agit de Jean, ce “disciple que Jésus aimait”.  C’est étonnant de le qualifier de cette manière là et un jour un pasteur protestant m’a dit que le disciple que Jésus aime, c’est celui qui se reconnaît comme disciple : je suis le disciple que Jésus aime, parce que je choisis d’être son disciple. Et celui-là a sa tête posée contre le coeur de Jésus. C’est la dernière chose sur laquelle je voudrais attirer votre attention dans cet évangile : nous avons été marqués hier par l’attitude de Marie, cette attitude de gratuité absolument extraordinaire. Cette espèce de “gâchis” entre guillemets. Quelle est la place de la gratuité dans ma vie ? Pendant cette semaine, en accompagnant Jésus, est ce que je peux lui manifester la gratuité de mon amour. Passer du temps gratuit avec lui. Vous savez bien ce que c’est. On dit souvent “le temps c’est de l’argent.” On essaie de rendre efficace tout le temps, c’est le cas dans notre vie quotidienne. On remplit notre agenda peut-être parce qu’on a peur du vide.  Là, dans le temps du confinement, comment est-ce que je peux retrouver cette vertu de la gratuité ? Passer du temps simplement, devant le Saint Sacrement, sans chercher à avoir une belle prière, sans chercher à la remplir. Mais dans la contemplation, comme Marie qui venait répandre ce parfum d’un très grand prix sur les pieds de Jésus, en les essuyant avec ses cheveux, signe de sa féminité, de tout ce qu’elle est, de tout son être. Passer du temps gratuitement avec Jésus, et pourquoi pas, les uns avec les autres. Il y a parfois, sur les réseaux, un apéritif ensemble. Passer du temps gratuitement avec Jésus, du temps qui ne sert à rien, du temps au terme duquel on ne pourra pas dire “ça a été efficace”. Mais simplement se donner de la joie, et donner de la joie à Jésus . Pourquoi ? Simplement parce que c’est lui, parce que nous nous aimons et qu’il nous aime. Passer du temps gratuitement avec quelqu’un, dans l’amour, c’est vraiment ça qui répand ce grand parfum de l’évangile d’hier et aussi d’aujourd’hui. L’image de Jean c’est une autre attitude. Moi, j’ai les cheveux trop courts pour essuyer les pieds de Jésus. Mais mettre ma tête contre son coeur, écouter son coeur qui bat. Parfois il y a des papas qui mettent leur oreille contre le ventre de leur épouse enceinte pour écouter le battement du coeur. Parfois deux êtres qui s’aiment mettent leur oreille sur le coeur de l’autre pour écouter ce coeur qui bat.

Et bien, faisons comme cela avec Jésus. Ecouter le coeur de Dieu qui bat. Une très belle manière de le faire est d’écouter la Parole de Dieu, de la méditer, de la ruminer gratuitement. Pas pour se dire que j’ai compris. Mais pour se dire “j’écoute mon époux, j’écoute mon Sauveur, j’écoute son coeur qui bat pour moi.” C’est gratuit, ça ne sert à rien sur le plan des critères de la société. Mais dans l’ordre du Royaume de Dieu, c’est sûr que ça accomplit quelque chose. Et ce que ça accomplit, c’est ce que Jésus dit au moment où il est renié, trahi par Judas, où il sait qu’il sera renié par Simon Pierre et que tous les autres vont le laisser tomber : il annonce  que c’est l’heure de la gloire. Que la glorification de son père, et en retour la sienne, va être accompli. Et nous avons vraiment besoin d’écouter le coeur de Jésus pour comprendre cela. Sinon, ce que nous allons vivre, la Passion du Christ, va nous laisser sidéré. Alors que grâce à la communion de vie avec Marie, garder les événements et les méditer dans son coeur, nous pourrons vraiment découvrir petit à petit  et jusqu’à la joie de la résurrection, que la gloire de Dieu est inéluctable. Amen