Homélie du mercredi 1er avril 2020 – Père Gilles Rousselet

1 Avr 2020 | Actualité, Homélies

5ème semaine de carême -année A (Dn 3, 14-20.91-92.95 ; Dn 3, 52, 53, 54, 55, 56 ; Jn 8, 31-42))

Dans l’évangile aujourd’hui Jésus s’adresse « à ceux des Juifs qui croyaient en lui. »  Ce sont des personnes qui ont déjà commencé un chemin de conversion et nous avons vu que ce chemin était difficile. Hier nous avions Jésus qui disait « Moi je suis d’en haut, vous vous êtes d’en bas ; moi je ne suis pas de ce monde. » Et puis on continue d’approfondir le mystère de la croix :  Jésus dit «  Quand je serai élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes », c’est-à-dire seulement Jésus peut me faire passer de en bas à en haut, de la vie terrestre à la vie dans le Royaume de Dieu, et peut me libérer de l’esprit du monde pour me faire vivre dans la liberté des enfants de Dieu. On avait déjà franchi cette étape importante à méditer ; il ne suffit pas de le comprendre intellectuellement, mais il faut, comme le disait une religieuse colombienne, passer de « aqui » à « aqua », de la tête et de ce que nous pouvons comprendre intellectuellement (et c’est déjà une grâce) à le vivre, et c’est bien là l’enjeu décisif de la foi.

Ici donc nous cheminons déjà avec cette foi qui est un don de Dieu, dans laquelle le Seigneur nous a établis, et nous découvrons que ça ne suffit pas, qu’il y a des étapes dans la foi. Par exemple, vous vous rappelez la rencontre entre les dix lépreux et Jésus. Ils ont la foi, puisque quand Jésus leur dit d’aller se montrer aux prêtres alors qu’ils ne sont pas encore guéris et que leur guérison se fera en chemin, un seul revient vers Jésus pour rendre grâce et s’entendre dire « Ta foi t’a sauvé ». Il y a aussi la guérison du fils du centurion romain, qui rentre chez lui parce que Jésus lui a demandé « Rentre chez toi ton fils est guéri ». Il crut à la Parole de Jésus et c’est quand il fut rentré chez lui et qu’il constata que la guérison de son fils avait bien eu lieu à l’heure où Jésus avait prononcé cette parole que lui et toute sa famille crurent en Jésus.

 Donc, il y a des étapes dans notre cheminement spirituel. La foi est un chemin mais c’est aussi un combat. Il y a ce passage de l’Ecriture qui dit que le diable est là comme un lion rugissant qui va et vient  à la recherche de sa proie. Evidemment, le diable n’est pas du tout en accord avec le projet, la grande œuvre de Dieu que nous croyons en celui qu’il a envoyé. Il veut nous faire perdre notre identité d’enfant de Dieu. Il y a ce passage dans l’évangile « Si Dieu nous libère alors nous serons vraiment libres ». C’est une expérience que nous avons souvent faite dans les soirées Bartimée, dans la prière des frères, pour recevoir de Dieu la libération : il faut souvent se redire « Puisque Jésus m’a guéri, je suis guéri ; puisque Jésus m’a libéré, je suis libéré ». Parce qu’il y a toujours cette tendance, comme le peuple d’Israël dans le désert, à revenir en arrière. Pour reprendre l’image, qui n’est pas d’actualité, du ski de fond : nous pouvons toujours sortir hors des traces, vivre cette aventure, mais nous sentons en nous qu’il y a toujours l’appel à revenir dans les traces, dans le chemin ancien. Comme le peuple d’Israël qui voulait revenir en arrière, quitte à vivre en esclavage. Mais au moins là-bas, ils ne manquaient de rien, en tout cas pas de ce qui leur paraissait absolument nécessaire.

La foi est un chemin et un combat spirituel. Le but est, comme dit Paul « Je vis, mais ce n’est plus moi qui vit, c’est le Christ qui vit en moi. » Et pour ça, pour approfondir la vie en Dieu, nous avons besoin des 5 essentiels. Jésus précise que vivre dans la vérité est un enjeu décisif. Vivre en vérité, c’est-à-dire vivre en Christ, car Jésus dit « Je suis le chemin, la vérité et la vie. » Je suis libre mais toujours à le devenir. J’ai la foi et en même temps, Seigneur, viens au secours de mon incroyance. Vivre dans la vérité, dans cette vérité qui nous rend libre, c’est reconnaître que nous sommes pécheurs. La Samaritaine, ce qui l’a marquée, c’est que Jésus lui dise ce qu’elle avait fait. Jésus l’a établie dans la vérité de sa vie pour qu’elle puisse être établie dans la vérité de qui est cette personne qui lui parle « Je le suis, moi qui te parle ». Et cette liberté me rend libre, mais pas de n’importe quelle liberté. Vous savez qu’en français il n’y a qu’un seul mot pour dire liberté. Mais en anglais par exemple, il y a deux mots : liberty et freedom. Liberty, c’est le libre arbitre : je fais ce que je veux. Là, notre liberty est limitée avec le confinement. Et freedom, c’est la liberté des enfants de Dieu. Et cette liberté des enfants de Dieu suppose ma dépendance vis-à-vis de Dieu : Dieu est mon sauveur et mon créateur. Jésus ne va pas me guérir et me libérer pour que je sois indépendant de lui ; autonome oui, comme homme et femme, que je sois debout, capable d’assumer mes responsabilités et ma vie. Mais Jésus ne me libère pas, ne me guérit pas pour que je me détache de lui. Comme quand j’ai le meilleur qui soit et quand je suis guéri, je n’ai plus besoin de lui. C’est une sorte d’aberration de la foi, c’est assez étonnant : on dit qu’on prie quand ça ne va pas bien, et quand ça va mieux, on prie moins. C’est un peu le danger contre lequel Jésus nous demande de nous prémunir. Et c’est pour ça qu’il nous invite à considérer la foi comme un chemin et un combat dont nous sommes victorieux. Il s’agit d’être libéré pour accomplir la volonté de Dieu, pour être dépendant de lui. Le chrétien est un homme qui sait que sans Dieu, il ne peut pas vivre. Il sait qu’il doit tout attendre de Dieu, comme disait le curé d’Ars.

Quels peuvent être les obstacles à cette vie vraie, vraiment vécue ?

-ne pas recevoir les 5 essentiels dont nous avons besoin. Dans les Actes des Apôtres, ce qui a garanti la solidité et l’expansion de l’Eglise, c’est que les premiers chrétiens recevaient en permanence les cinq essentiels : la louange, la vie fraternelle, la formation, le service et l’évangélisation.

-Je me dis que j’appartiens à l’Eglise catholique et que ça suffit pour que je sois sauvé. Ça n’est évidemment pas suffisant !

-Un  risque est de dire que je pratique, je vais à la messe tous les dimanches. Comme le pharisien qui dit qu’il fait tout bien, il prie, il donne le denier…

-Je ne suis pas pécheur, en tout cas pas pire que les autres. Cela fait partie des 15 péchés de la Curie romaine… « Je ne suis pas pire que les autres » est un obstacle à la vie vraiment vécue de fils et filles de Dieu.

-Il y a le risque du jeune homme riche qui dit à Jésus « Que dois-je faire pour avoir la vie éternelle en héritage ? » : ça reposerait sur ce que je dois faire, alors que ça repose d’abord sur ma capacité à accueillir. Il y a eu dans l’histoire de l’Eglise un moment dans les premiers siècles qui a vraiment fragilisé l’Eglise. Au  temps des persécutions, il y a eu des chrétiens qui  sont restés solides dans la foi et les épreuves, et d’autres qui ont flanché. Alors, parmi ceux restés fidèles, certains se sont mis à juger ceux qui étaient tombés, qui avaient failli, contrairement aux 3 enfants dans la fournaise. Ça a vraiment fragilisé l’Eglise, c’est ce qu’on appelle l’orgueil spirituel. « Que n’as-tu que tu n’aies reçu ? » Nous avons tout reçu… Sainte Thérèse priait aussi pour les péchés dont elle avait été préservée. Ne jugeons pas, ne soyons pas ferments de divisions, de jugements et de condamnations dans l’Eglise parce qu’il n’y a rien qui la fragilise plus que cela.

La dernière chose, c’est cette prière du pape Benoit XVI : « Que chacun sente la joie d’être chrétien. » A mon avis, c’est pour cela que c’est un des 5 essentiels et même le premier, la louange et l’action de grâce. Un des signes que nous sommes vraiment dans la foi, c’est la gratitude, la joie. Avoir sans cesse à nos lèvres un chant de louange, prendre des psaumes quand  nous sommes dans le doute, la nuit,  les ténèbres, que nous prenions un psaume de louange et que nous laissions l’Esprit Saint dire en nous ces paroles de louange pour nous établir fermement dans la vie des enfants de Dieu qui ne manquent de rien.

Seigneur, accorde-nous cette grâce de pouvoir cheminer avec toi dans la joie. Et que tu puisses accomplir en nous le plus grand miracle qui soit, celui de la foi. Sois béni Seigneur pour ce que tu fais dans notre vie.