Homélie du mardi 31 mars 2020 – Père Gilles Rousselet

31 Mar 2020 | Actualité, Homélies

5ème semaine de carême -année A (Nb 21, 4-9 ; PS 101(102), 2-3, 16-18, 19-21 ; Jn 8, 21-30)

Dans la première lecture, nous avons comme un clin d’œil grâce au Livre des Nombres. Nous voyons comment ceux qui se sont révoltés contre Dieu, en regardant ce serpent d’airain fondu sur les indications de Dieu à Moïse, ce caducée, symbole de la médecine, sont sauvés. C’est l’occasion de rendre grâce à Dieu et d’encourager de notre prière et de notre reconnaissance tous ceux qui, dans le domaine médical en particulier, œuvrent pour sauver des vies. Il y avait hier le nombre de personnes guéries du coronavirus. Nous sommes assez attentifs au nombre de personnes malades ou mortes, mais il y a plus de 7000 personnes guéries de cette maladie terrible. En particulier par le travail de ce corps médical que nous avons à découvrir. Et j’espère que le respect qu’il fait grandir en nous continuera par la suite, comme dans bien d’autres domaines : tous ceux qui permettent que nous puissions vivre, les commerçants, ceux qui travaillent dans les magasins, les livreurs… Il faut que nous sachions redécouvrir ce travail de l’homme comme nous le faisons dans l’Eucharistie « fruit de la terre et du travail des hommes ». Que nous redécouvrions ce respect pour le travail d’engagement, les compétences, les talents humains. Et que le Seigneur aime tout ça, à condition que ça serve l’homme et non pas « mammon » le dieu de l’argent.

Dans l’évangile, la tension monte ! Ce n’est pas étonnant, on s’approche de Jérusalem. Dans ce temps du carême, on s’approche de la Pâque du Christ. Les tensions montent, en particulier sur la question centrale de l’identité de Jésus. On sait bien que la foi n’est pas connaître les prières, pratiquer, mais c’est proclamer que Jésus est Seigneur, c’est le kerygme, le pépin de l’Eglise : cette image, combien y-a-t-il de pépins dans une pomme, et combien  y a t-il de pommes et de vergers dans un pépin ? Le kérygme, c’est le noyau central de la foi, et il est là affirmé dans l’évangile par Jésus « Je suis ». Il est le Fils de Dieu, il est le Seigneur et le Sauveur. Et on voit bien à la finale que c’est ça qui est encourageant pour nous que « sur ces paroles de Jésus, beaucoup crurent en lui. » La foi n’est pas quelque chose que nous produisons nous-mêmes. C’est un don totalement gratuit de Dieu. Je me rappelle ce que disait le Père Thévenot à des  personnes qui venaient le voir et lui disaient « J’ai perdu la foi ». Alors, avec une petite pointe d’humour il leur répondait « Où l’avez-vous perdu ? » Comme s’il fallait chercher sous les meubles où la retrouver. La foi est un don de Dieu et on voit la place de la Parole proclamée par Jésus et relayée par les apôtres que nous sommes tous et toutes, les uns et les autres, qui produit, nourrit et encourage la foi.

Dans ce passage d’évangile, les expressions sont très fortes. Jésus dit « Vous, vous êtes d’en bas ; moi, je suis d’en haut. » Attention, ce n’est pas une accusation « Vous êtes du monde et moi, je ne suis pas de ce monde ». C’est simplement la réalité, la réalité qui est transformée par la croix, à condition de reconnaître la croix comme le signe de cette transformation. La Pâque du Christ, l’heure de la gloire de Jésus, c’est l’heure où il va tout transformer. Avec cette affirmation très forte : « Quand je serai élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes. » Comment voit-on que ceux qui lui parlent avec autant d’agressivité sont « d’en bas » ? Par exemple quand ils lui parlent  de son passage, ils disent « il va se suicider ». Ou bien quand Jésus parle de sa relation avec Dieu, ils ne comprirent pas qu’il parle du Père. Ce sont des signes qui montrent que nous sommes vraiment d’en bas : notre incapacité à comprendre le mystère de la croix, de la Pâque du Christ, sans que cela ne soit révélé.

A la question « qui es-tu ? » Jésus répond qu’il n’a pas cessé de nous le dire. Et ça provoque en nous la confusion, quand il y a en nous cette fermeture du cœur, cette dureté du cœur, que le Pape François dans les 15 maladies de la Curie romaine qui sont aussi les nôtres, appelle la sclérocardie : ce cœur qui se durcit et se referme à la compassion pour les autres, qui se ferment à la révélation que Dieu fait de son visage en son Fils.

Justement, la croix en saint Jean est vraiment la clé pour comprendre tous les signes. Vous savez qu’en saint Jean on parle plus de signes que de miracles parce que tous ces signes trouvent leur compréhension et leur lumière dans la croix du Christ. Par exemple, dans les Noces de Cana, le premier signe accompli par Jésus dans l’évangile selon Saint Jean, Jésus donne la clé « Mon heure n’est pas encore venue ». L’eau transformée en vin le meilleur, ce n’est pas seulement le miracle de la transformation, mais ça pointe ce que sa mort et sa résurrection vont transformer : il va nous donner non pas du vin en plus, mais le vin le meilleur. La croix est la clé de compréhension de tous les signes accomplis par Jésus et tous les signes accomplis par Jésus pointent notre regard et notre attention vers la croix. Je me rappelle ce que disait Saint Jean Eudes à des religieuses de la congrégation qu’il avait fondée : « Vous voulez un petit Jésus de sucre et de miel ? Vous aurez la croix du Christ. » C’est notre difficulté dans la vie d’intégrer la croix et la Passion du Christ. Saint Paul, dans la Lettre aux Corinthiens dit  que la croix est folie et scandale, elle dépasse tout raisonnement humain, toute capacité humaine de compréhension et d’interprétation. Le drame c’est quand nous nous concentrons sur notre raison et notre volonté de comprendre et de maîtriser les choses. C’est cela aussi la sclérocardie : alors que Jésus dit « Béni sois-tu Père d’avoir révélé aux petits et aux pauvres ce que tu as caché aux sages et aux savants. » Ce n’est pas que Dieu l’a caché lui-même, mais c’est qu’une certaine manière d’aborder le mystère de la révélation, de la croix, nous empêche vraiment d’accueillir la croix ; ce que je sais ou ce que je crois savoir, est parfois un empêchement assez sérieux pour accueillir le mystère.

 Jésus est la révélation. Quand il dit « Je suis » c’est la pleine révélation de son identité. C’est comme cela que Dieu se révèle à Moïse dans le buisson ardent « Je suis celui qui est ». Ça veut dire, je suis la source de tout. Nous, nous ne pouvons pas dire « je suis », nous sommes en devenir. Celui qui est « Je suis » me fait le don de sa vie et la pleine réalisation de ma vie. Je ne peux pas exister, rien ni personne ne peut exister de soi-même. Seul Dieu est la source de l’être et Jésus dit clairement qu’il est le Verbe de Dieu, qu’il est le Fils de Dieu : c’est la pleine révélation de son identité. Et seulement lui peut accomplir cette révélation : le christianisme est une religion révélée.  D’autres religions disent qu’il faut tendre vers Dieu par nos forces, par nos vertus ; Jésus nous dit que Dieu s’est révélé pleinement à l’homme, révélation bouleversante dans ce petit bébé nouveau-né  et vrai homme et vrai Dieu mort sur la croix. C’est la pleine révélation de Dieu. Et cette identité de Jésus est confirmée, Jésus le dit lui-même dans ce passage d’évangile : « Quand vous aurez élevé le Fils de l’homme, alors vous comprendrez que moi je suis. »  L’être même de Jésus va être confirmé par la résurrection. Il est vraiment le Fils de Dieu, parce qu’il est ressuscité. Jésus lui-même confirme qui est son Père, le Dieu de miséricorde qui pardonne. Jésus est le pardon de Dieu pleinement révélé. Et le pardon de Dieu n’est pas un aspect de Dieu, c’est son être même : Dieu pardonne fondamentalement, Dieu est fondamentalement notre Père qui nous pardonne. Jésus nous révèle qui est Dieu pleinement pour nous et Dieu nous révèle qui est pleinement son Fils : il est le Sauveur, puisqu’il va le ressusciter.

Dans ce temps de carême, c’est important, compte tenu de la réalité nous qui sommes d’en bas, qui sommes de ce monde, si nous voulons être élevés gratuitement avec le Fils, à la réalité d’en haut du Royaume de Dieu ; si nous voulons être élevés à cette identité d’enfants de Dieu, il est important de prendre du temps pour l’écouter, pour l’écouter comme des enfants, comme Marie au pied de Jésus et qui l’écoute. Etre aux pieds de Jésus, c’est vraiment l’attitude du disciple. On n’écoute pas d’égal à égal, on écoute comme des disciples notre Maître. Et la meilleure façon de l’écouter, c’est de méditer la Parole de Dieu.

Seigneur Jésus, en ce temps de carême, toi qui a révélé le visage du Père d’une façon inconcevable, que nous ne pouvons pas inventer ni comprendre par nous-mêmes, donne-nous la grâce de t’écouter. Viens enlever en nous, par ton Esprit Saint, tous les obstacles qui nous empêchent de t’écouter. Viens nous installer dans cette patience, viens nous donner la grâce et l’envie de se mettre à tes genoux, de nous mettre à tes pieds pour pouvoir t’écouter comme Marie. Etablis-nous dans la joie et la saveur de l’évangile. Nous croyons vraiment que tu peux le faire, que tu peux venir à bout de tous ces obstacles, et par avance, parce que nous savons que tu nous exauces, que tu es le Sauveur, que tu nous révèles le visage du Père et que nous sommes tes enfants, nous te remercions. Seigneur, sois béni pour ce que tu fais dans notre vie. Amen