Homélie du lundi 30 mars 2020 – Père Gilles Rousselet

30 Mar 2020 | Actualité, Homélies

5ème semaine de carême -année A (Dn 13, 41c-62 ; Ps 22(23), Jn 8, 12-20)

Nous sommes dans le temps du carême, temps privilégié pour notre conversion, pour passer de ce qui est superficiel, apparence, reconnaissance, chercher la reconnaissance et la récompense qui vient des hommes, à une relation plus intime et plus personnelle avec le Christ. A une intériorisation de cette Loi, de ce commandement que le Seigneur nous a laissé : « Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés. »

Ce qui est sûr, c’est que ça ne va pas de soi. Il y a cette prophétie d’Isaïe qui parle, pourrait-on dire, de grands chantiers d’autoroute : « Préparez les chemins du Seigneur. »  Il s’agissait alors de préparer les voies qui n’avaient pas été pratiquées depuis longtemps pour l’arrivée du roi.  Ça ressemblait vraiment à un chantier d’autoroute ! « Aplanissez les voies, comblez les ravins » C’est vraiment l’œuvre de Dieu en nous. Ne nous faisons pas d’illusion : Jésus n’est pas venu sauver les institutions, mais convertir nos âmes : c’est sa préoccupation. Et quand nous entendions hier dans l’évangile que Jésus criait pour appeler Lazare, comme il criera aussi sur la croix, c’est parce que il y a un combat dont il est victorieux. Il veut nous associer à cette victoire, et nous le sommes déjà, mais ça suppose d’entrer pleinement dans ce combat spirituel.

Hier, nous parlions de Jésus qui dort dans la barque. Et dans l’évangile, Jésus qui tardait à rejoindre cette famille qu’il aime pourtant, pour guérir Lazare. Aujourd’hui, on assiste au silence de Jésus. Jésus dort, Jésus tarde, Jésus se tait. 3 attitudes qui en disent long de la patience de Dieu, de ce chemin nécessaire pour notre conversion. Parfois on voudrait aller plus vite, parfois on a déjà signé en bas de la page alors que le récit n’est pas encore écrit. Parfois, on voudrait parler avant d’avoir laissé à Dieu le temps de son ultime parole qui sera de toute façon une parole de victoire et de miséricorde.

Là il y a vraiment un enjeu dans ce silence de Dieu. Je vous invite à contempler son mouvement, ce double abaissement de Jésus, y compris avec son redressement qui est la manifestation de la résurrection du Christ, de sa victoire définitive.

Si on regarde le contexte : évidement, les scribes et les pharisiens n’amènent pas une femme pour elle-même. Elle est vraiment considérée comme une serpillière, elle est jetée là, au milieu, comme l’élément principal du piège assez bien rodé qu’ils tendent à Jésus. Parce que, de fait, la Loi obligeait la lapidation dans le cas où un homme et une femme étaient surpris en situation d’adultère. Là, ce qui est paradoxal et étonnant, c’est qu’il y a la femme mais pas l’homme coupable. Par contre, dans la première lecture entendue, ce sont les hommes qui sont convaincus de culpabilité. La vérité apparaîtra toujours au grand jour.

Si Jésus dit qu’il ne faut pas lapider cette femme, il contredit la Loi. S’il dit qu’il faut la lapider, il se contredit lui-même, lui qui dit de faire bon accueil aux pécheurs. Devant ce piège extrêmement bien tendu, Jésus se tait et a ce premier mouvement d’abaissement . Comme les gens insistent, il se relève et va leur dire cette parole.

Comment pouvons-nous comprendre ce double abaissement ? C’est vraiment un acte prophétique. C’est la double kénose, ou le double abaissement de Jésus, à la fois dans son incarnation et dans sa Passion. Voilà ce que va produire l’humilité, l’abaissement de Jésus : « Il n’a pas retenu le rang qui l’égalait à Dieu… Le Verbe s’est fait chair, il a habité parmi nous… Il est venu parmi les siens, les siens ne l’ont pas reconnu.. . » Et il a été jusqu’à manifester jusqu’au bout l’Amour de Dieu pour nous, en mourant sur la croix, rejeté de presque tous, humilié, torturé, par amour pour nous. C’est ce double abaissement. Et vous voyez l’enjeu, c’est toujours Saint Jean qui nous conduit de cette manière à la contemplation du Christ : l’enjeu est notre conversion et notre salut. La conversion est la condition pour que nous puissions accueillir le salut.

Et donc, il y a aussi le dessin sur le sol. C’est le seul endroit où Jésus dessine. Il y a plusieurs interprétations possibles.

Saint Jérôme dit que Jésus écrit leurs péchés. Si c’était le cas, sans doute que les scribes et les pharisiens n’auraient pas insisté et se seraient retirés. Vous connaissez peut être cette histoire du monastère qui rayonne et les moines sont très touchés par ce rayonnement et le témoignage qu’ils donnent. Et le Père abbé, revenu à la sacristie, dit aux moines : « Mes frères, si nos péchés étaient inscrits sur notre bure, les gens seraient moins édifiés. » C’est l’interprétation de Saint Jérôme.

 Il y a cette interprétation qui relève du Livre de Jérémie, chapitre 17 : « Ceux qui se détournent de toi seront inscrits sur la terre, car ils t’ont abandonné, toi la source des eaux vives. »

 Il y a encore une autre interprétation encore plus récente, celle où Jésus écrirait des versets de la bible ou dessinerait un poisson. On sait bien pourquoi un poisson « ichtus » c’est le signe qu’utilisaient les premiers chrétiens aux temps des persécutions. Ichtus est composé des premières lettres des titres donnés à Jésus. 

Il y a aussi ce passage d’Ezechiel 31 : « J’inscrirai la Loi sur leur cœur, je serai leur Dieu, ils seront mon peuple. » Vous avez remarqué que Jésus dessine avec le doigt sur la terre.  C’est vrai que nous sommes dans le temple, et on pourrait considérer qu’il écrit plutôt sur des plaques de marbre qui revêtent le sol. Là, le récit dit qu’il écrit sur la terre, la « adama ». Ce que Jésus est en train de faire, c’est le fruit de ce double abaissement. C’est-à-dire que Dieu avait écrit de son doigt la Loi sur les tables de pierre, comme le dit l’Ancien Testament. Et là, Jésus, avec son doigt, écrit sur la terre. C’est vraiment l’accomplissement de ce que dit Ezechiel : Jésus vient inscrire la Loi dans notre cœur. Et quand, en se relevant, il dit à ces hommes : «Que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre », il provoque notre conversion, notre retour sur nous-mêmes, comme dans la parabole du Fils prodigue qui fit un retour sur lui-même. Evidemment, ces hommes, en commençant par les plus âgés, les plus expérimentés dans ce domaine-là, se retirent tous les uns après les autres. Et il ne reste à ce moment-là, comme dit Saint Augustin,  « que la miséricorde et la misère. »

Et enfin, pour la première fois, Jésus porte son regard sur cette femme, en lui demandant : « Il n’y a plus personne pour te condamner ? Moi non plus, je ne te condamne pas, va et ne pèche plus. » Jésus ne veut pas mêler son regard aux regards de jugement et de condamnation de ces hommes. C’est donc seulement quand il se retrouve seul avec cette femme qu’il peut la regarder. 

Frères et sœurs, demandons à Jésus : Jésus, viens déverser ta lumière pleine de miséricorde. C’est l’œuvre la plus extraordinaire de la miséricorde, d’abaisser notre orgueil. Et il faut entrer dans la spiritualité du Magnificat. C’est une des œuvres de miséricorde d’abaisser notre orgueil, de nous amener à vivre dans la vérité, en nous convaincant que nous sommes tous pécheurs, de détruire en nous le germe de jugement, comme ce fut le cas pour les scribes et les pharisiens. Et de pouvoir, de cette manière là,  nous laisser regarder par le Christ et découvrir qu’en lui il n’y a aucun jugement, aucune condamnation, mais une invitation à nous relever, et à aller, aller pour être vivant de la Vie nouvelle qu’il nous donne. Et avec la force qu’il nous donne, de ne plus commettre de péchés. C’est l’œuvre de la miséricorde, l’œuvre de la confession.

Et il y a une question que je me suis posée, pour moi importante. Ces hommes, à l’invitation de Jésus, se retirent les uns après les autres. La question est : pourquoi ne sont-ils pas restés ? Je me pose la question à moi-même, et chacun d’entre nous pouvons se la poser : à quel moment nous retirons-nous ? Nous retirons –nous quand nous découvrons que nous sommes pécheurs, et chacun nous rentrons chez soi, sans attendre la parole prononcée sur notre péché « Je ne te condamne pas, entre dans la miséricorde. » ? Ou est ce que nous prenons le risque de rester, comme cette femme adultère, et d’entendre Jésus nous dire « Relève toi, je ne te condamne pas, je te pardonne. Va et désormais sois vivant. » ? Amen