Homélie du dimanche 29 mars 2020 – Père Gilles Rousselet

30 Mar 2020 | Actualité, Homélies

5ème dimanche de carême -année A (Ez 37, 12-14 ; Ps 19(130), 1-2, 3-4, 5-6ab, 7bc-8 ; Rm 8, 8-11 ; Jn 11, 1-45)

La joie d’écouter la Parole de Dieu ! Et nous avons le temps… L’avantage d’avoir la messe à 8h00 c’est de ne pas avoir à la fin de la messe le souci du gigot dans le four… Et à vrai dire, ce temps de confinement est une grâce, je ne nie pas que c’est une épreuve pour beaucoup, en particulier pour ceux qui sont atteints de la maladie, pour ceux qui meurent, pour leur entourage, leur famille. Il faut qu’on prie beaucoup, en particulier pour les familles qui ne peuvent pas accompagner leur défunt jusque dans la mort, qui ne peuvent participer à la cérémonie. Les évêques ont réfléchi aux propositions qu’il était possible de faire dans ce domaine. Vendredi, nous avons partagé avec Marie-Claire qui a perdu son papa et qui témoignait combien c’était difficile de ne pas avoir pu être avec lui jusqu’à la fin et aussi de ne pas pouvoir se rassembler tous ensemble. Elle disait combien justement le fait de pouvoir diffuser la messe par internet avait été une grâce puisque tous les membres de la famille, y compris au Vietnam, avaient pu participer à la messe célébrée hier à l’intention de son papa.

Le Seigneur nous invite par la puissance de la résurrection, c’est un des enjeux du récit d’aujourd’hui parce que nous sommes déjà ressuscités, la résurrection est à l’œuvre. Et par la puissance de cet Amour qui a vaincu la mort, nous sommes invités à tout transformer en opportunité. C’est important que nous regardions comment ce qui se passe transforme vraiment notre vie à tous les niveaux. En tout cas, il y a l’opportunité de prendre le temps de vivre en famille, de prier en famille, de partager en famille, et d’écouter la Parole de Dieu, de prendre le temps de la ruminer.

Nous sommes dans l’évangile lu pour les catéchumènes. La première fois, avec la Samaritaine, nous avons découvert que Jésus est le Verbe-Source. Avec la guérison de l’aveugle, que Jésus est Verbe-Lumière. Et aujourd’hui, nous découvrons que Jésus est le Verbe de Vie, qui donne la Vie. Il y a aussi ce thème central qui encadre ce récit de la résurrection de Lazare : Jésus dit « Je ne vais pas venir tout de suite », parce que cet événement est pour manifester la gloire de Dieu, la gloire de son Père. Et à la fin, Jésus dit « Je sais que tu m’exauces, je n’ai aucun doute là-dessus. Mais à cause de la foule qui m’entoure, afin qu’ils croient que tu m’as envoyé. » Le thème central de ce récit, de tout l’évangile même, c’est la gloire de Dieu. Jésus est l’Incarnation de la gloire de Dieu pour que nous puissions vraiment nous en imprégner et en vivre. Cette gloire, c’est l’Amour ! Vous savez que la signification de la gloire dans la bible, c’est la densité de la personne. Ce qui fera qu’on se souviendra de nous après notre mort c’est le poids de notre vie, pas nos diplômes ou notre compte en banque, mais c’est comment on aura aimé et servi. C’est ça qui fait le poids de la vie. Et au moment où Jésus va mourir sur la croix, c’est là qu’il va manifester la densité de l’Amour de Dieu pour nous, puisque le Père a donné son Fils pour nous. Et le Fils est entré pleinement dans le désir du Père de nous réconcilier pleinement avec Lui. C’est pour cela que Jésus, dans cet évangile, trace pour nous le chemin de l’accueil de la gloire. Il n’y a pas de doute sur la gloire de Dieu ! Vraiment, elle nous a été manifestée, partout, objectivement, nous voyons la gloire de Dieu. Si nous ouvrons les yeux, partout nous la voyons ! Ce n’est pas une accusation ou une remise en question ; c’est notre faute, nous n’avons pas ouvert les yeux.  Mais en réalité, c’est la réponse de Dieu : puisque nous n’arrivons pas à croire de nos propres forces, et la foi est une des grâces suréminentes, la Parole de Dieu va nous conduire sur le chemin de la foi : « Parce que l’œuvre de Dieu, c’est que nous croyons en celui qu’il a envoyé. » Jésus nous dit encore « Pour qu’ils croient que c’est toi qui m’as envoyé. » Pourquoi ? Parce que l’envoi du Verbe de Dieu parmi nous est la manifestation de l’Amour de Dieu pour nous.

Il y a ce retard de Jésus. Il y a un passage dans l’évangile où Jésus dort dans la barque, alors que c’est la tempête. C’est une chose inconcevable ! Ils ont retrouvé il y a quelques années à Capharnaüm, une barque à peu près conservée qui permettait d’imaginer les barques au temps de Jésus. Vraiment, ce n’est pas un bateau de croisière, c’est une coquille de noix… C’est inconcevable que Jésus dorme, que quelqu’un puisse dormir à moins d’être habité d’une paix telle qu’on peut être en paix dans n’importe quelle tempête. C’est le cas pour Jésus, bien sûr. Mais il y a une théologie du sommeil de Dieu, et ici, une théologie du retard de Jésus. Pourquoi ? Parce que la pédagogie divine qui nous conduit à croire en celui que Dieu nous a envoyé s’enracine en nous. Nous savons bien qu’il faut du temps. J’ai envie de dire, comme me disait un de mes directeurs spirituels « Tu n’es pas un bon élève. » ça n’avait pas l’air de l’attrister du tout ! D’ailleurs, je suis à peu près sûr que ça n’attriste pas Dieu, car ce qui plait à Dieu, ce n’est pas tant le résultat que le temps que nous passons avec lui.  C’est ça qui est important. Je peux boiter, je peux être bancal, je peux avoir du mal à avancer, mais ce qui plait à Dieu, c’est le temps qu’il passe avec moi. Pas le résultat ! Parfois dans la vie nous perdons patience parce que nous voulons le résultat ! Ce que Dieu veut, c’est le temps passé avec Lui, c’est la communion. Si Jésus prend du retard, c’est pour nous laisser plus de temps d’être avec lui et d’approfondir ce que se passe.

C’est la question de la foi ! Jésus insiste beaucoup sur le dialogue avec Marthe et Marie. Il y a beaucoup de personnages et chacun d’entre eux réagit à cet événement tel qu’il est.  C’est très beau ! Devant l’événement de la mort de Lazare, de la maladie d’abord puis de sa mort, chacun réagit en fonction de ce qu’il est. Et ce qui est très beau, c’est que Jésus nous rejoint chacun tel que nous sommes. Alors Jésus dit « Celui qui croit en moi aura la vie éternelle. Celui qui croit, même s’il meurt, vivra. » Bien sûr nous allons mourir, mais nous ne mourrons pas pour toujours. C’est bien la question essentielle « Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra. » La foi en Jésus nous assure la Vie éternelle. Vous vous rendez compte de ce qu’est la foi ? La foi n’est pas « Je connais mes prières, je vais à la messe tous les dimanches ou tous les jours ». La foi, c’est cette ouverture totale, de tout mon être, à la vie de Jésus qui m’est pleinement donnée. Dans le tombeau quand Jésus est ressuscité, on ne sait pas ce qui s’est passé, mais on peut penser que le lien qui unit Jésus à son Père, c’est-à-dire l’Esprit Saint, n’a jamais été rompu et donc que Jésus n’est pas resté une seconde dans la mort. D’ailleurs, dans le récit de la Passion, il y a des preuves qui attestent ça, immédiatement Jésus est allé aux Enfers pour ramener à la vie ceux qui vivaient sans Dieu. Et le baptême a tissé en nous ce lien de l’Esprit Saint qui fait que, en croyant en Jésus, nous ne mourrons pas pour toujours.

Et il y a cette question qui est la deuxième étape de la foi : « Crois-tu cela ? » Il faut entendre aujourd’hui cette question de Jésus « Est ce que tu le crois ? Est-ce que tu me crois ? » Ce n’est pas croire à une idée, c’est croire en Jésus. « Est-ce que tu crois en moi, de telle manière que si tu meurs, tu vivras ? » Et il y a cette réponse, s’il nous plaît à tous, prenons le temps de répondre aujourd’hui à Jésus « Oui, je le crois. » Même si nous ajoutons comme le centurion romain « Je crois, viens au secours de mon incroyance ». Parfois, nous avons une telle auto affirmation de notre foi, comme si c’était inébranlable, alors que nous ne savons pas comment la foi va résister dans la tempête ! « Seigneur, je crois, mais viens au secours de mon incroyance. »  La foi n’est pas quelque chose que l’on possède. C’est une relation que l’on ne cesse de recevoir continuellement, qui ne cesse de grandir : « Si tu as la foi comme une graine de moutarde, ainsi parle le Seigneur… » (petite chanson de Père Gilles –NDLR)

Croire en Jésus, c’est un chemin, c’est l’œuvre de Dieu en nous, c’est l’œuvre de l’Esprit Saint. Nous ne croyons pas que nous pouvons vivre dans la confiance en Dieu sans l’Esprit Saint, nous sommes trop pauvres pour ça. Voilà comment Marthe est transformée. Ce qui est important, c’est que le chemin que Jésus fait faire à Marthe est de passer de la foi en la résurrection après la mort à la foi en la résurrection pour tout de suite. Et c’est proprement chrétien de croire en la résurrection pour tout de suite ! Je suis ressuscité ! Il parait que 70% des chrétiens ne croient pas ou très difficilement en la résurrection et certains croient plutôt en la réincarnation. C’est pratique, ça nous donne la possibilité de nous racheter. Le problème de la résurrection c’est que c’est un don totalement gratuit. Et à l’écoute de la Parole de Dieu, car ça ne peut pas se faire autrement, nous passons de la foi en la résurrection après la mort, à la foi en la résurrection pour tout de suite. Tu es vivant !

Quel est le cheminement pour Marie ? Il est précisé que Marie, c’est celle de l’onction de Béthanie, qui avait répandu du parfum sur le Seigneur. Pourquoi ? Parce que c’était un acte prophétique. Cette rencontre avec Jésus va faire sortir Marie de la prostration par cet appel « Le Maître t’appelle ». C’est très beau, contrairement à Lazare, c’est la mission de Marthe, c’est notre mission. Elle va voir sa sœur et lui dit tout bas, pour ne pas l’effaroucher, pour ne pas l’agresser « Le Maître est là, il t’appelle. » Et Marie se lève rapidement. Quel est le fruit de ce témoignage de Marthe qui transmet l’appel à vivre de Jésus ? Elle est ressuscitée ! Se lever rapidement, c’est être ressuscité ! La grâce, le chemin que la Parole de Dieu fait faire à Marie dans son histoire, c’est de passer de la prostration, comme on peut l’être légitimement avec les histoires d’aujourd’hui, nous pouvons être prostrés, accablés, angoissés ; et quelqu’un vient me dire « Le Maître t’appelle ». Répondre à cet appel bien vite et faire l’expérience de la résurrection.

Il y a un autre chemin qui vient se faire, c’est celui par rapport à la peur. Il ne faut pas avoir peur d’avoir peur. N’ayons pas peur d’avoir peur. C’est dramatique de nier notre peur, peut être par orgueil, par fierté, ne pas savoir dire « Oui, j’ai peur ». Il y a bien des raisons d’avoir peur. Par exemple là, les disciples ont peur d’aller en Judée ; et par ailleurs, il y a Thomas, celui qu’on appelle le Jumeau. Lui dit dans ce passage d’évangile « Allons avec lui pour y mourir ». Cela nous plonge dans le récit après la résurrection, où Thomas est en retard, on en fait le patron des mécréants, qui demande à mettre ses mains dans les plaies et là on le voit craintif. Mais il n’est pas craintif ! Il va à Jérusalem avec Jésus pour y mourir ! C’est une autre perception que l’idée qu’on peut en avoir. Dans ceux qui ont peur, il y a Marthe qui a peur d’aller au tombeau « Il y est depuis 4 jours, il sent déjà » quelle horreur ! Voyez comment Jésus nous fait sortir de nos peurs…

Et il y a cette attitude des Juifs qui vont voir cette famille qu’ils aiment beaucoup, et qui pleurent à grands cris. C’est important, ils pleurent à grands cris, ce sont des pleureurs, des pleureuses ! Le pleur de Jésus est d’une nature totalement différente. Comment chacun d’entre nous peut suivre cet itinéraire de foi inauguré par la Vierge Marie et qui nous conduit à passer d’un état à un autre qui est d’être vivant ?

Evidemment, il y a la résurrection de Lazare. Jésus pleure. Ce sont des larmes, un pleur silencieux qui vient de l’intérieur. Il n’y a pas d’exubérance. La compassion de Jésus n’est pas seulement pour Lazare, Marthe, Marie et tous ceux qui sont là, mais pour tous ceux qui connaîtront la mort. Il faut accueillir cette compassion de Jésus qui est la plus grande consolation pour les familles qui perdent un être cher et qui ne peuvent être auprès de lui : se laisser rejoindre par Jésus qui pleure de cette manière-là. Il y a une autre signification dans cette souffrance de Jésus : il perçoit notre peine de réussir à croire en la résurrection. Je pense que Jésus pleure aussi, comme il pleurait sur Jérusalem, à un autre niveau, sans accusation de sa part. Dans les entrailles de Jésus, il y a cette souffrance que nous ne puissions pas croire en la résurrection. Regardez, tous les parents et grands-parents qui pleurent tellement parce que leurs enfants et petits-enfants ne croient pas en Dieu. Et ça ne vous choque pas de pleurer ainsi pour ceux que vous aimez et qui ne sont pas encore ouverts à la foi. Je pense que Jésus pleure sur cette humanité qui a encore tellement de mal. Il ne la juge pas, cette humanité qui a tellement de mal à croire en la résurrection. C’est là où tout se joue, car il y a le cri de Jésus. Il pleure en silence, c’est la compassion. Mais la réaction, c’est « Je me tiens là sur la brèche, je me tiens là sur la croix plantée. Et je défie le démon, je défie le maître du mensonge et de la mort, je défie celui qui vous terrorise. » 365 fois dans la bible il y a l’expression « N’ayez pas peur ! » 365 fois, une fois par jour ! Et Jésus est là, debout dans la tempête, dans toutes les tempêtes de l’humanité. Et il crie, comme sur la croix, c’est le cri du combat qui assure la victoire. Jésus défie celui qui nous veut la mort, qui veut nous faire perdre notre vie filiale. Et il appelle chacun, il appelle Lazare « Lazare, sors du tombeau ! » Et le cri de Jésus qui défie la mort, qui défie la peur, qui défie tout ce qui nous écrase, traverse les murailles les plus profondes, les plus fortes, les plus solides et rejoint Lazare et chacun de nous pour entendre cet appel qui nous le dit à chacun. Je voudrais que chacun remplace Lazare par son prénom, et que nous disions, que nous puissions appeler celui ou celle avec qui nous sommes par leur prénom et leur dire « Sors de ton tombeau ! » Que nous relayons l’appel de Jésus, en prenant cette Parole de Dieu. Qu’elle nous rejoigne au plus profond : sortez de vos tombeaux, sortez de vos tombeaux !

Et Lazare sort de son tombeau. C’est toujours une image très particulière, parce qu’il est enveloppé de ses bandelettes, avec le visage entouré du linceul. Je ne sais pas comment il a fait, c’est un mystère pour moi : cet homme enveloppé de ses bandelettes, comment a-t-il fait pour sortir ? Je pense que la Parole de Dieu l’a porté. Ce n’est pas un tour de magie, c’est comme l’aveugle qui jette son manteau et court vers Jésus quand Jésus l’appelle, vous vous rappelez.  Ça m’a toujours profondément étonné que cet homme aveugle puisse courir sur un chemin qui n’est pas du tout comme le carrelage de cet oratoire ; mais c’est un chemin caillouteux et il était comme porté, porté par la Parole de Dieu et par Jésus. Jésus nous porte, la Parole de Dieu nous porte. Et elle nous soulève, nous nourrit, et source de vie en nous. Elle est source de la résurrection.

Et nous avons cette mission à accomplir dans ce combat dont Jésus sort victorieux, et nous tous avec lui puisque nous sommes son corps, les membres de ce Corps victorieux, il nous dit « Enlevez-vous les bandelettes les uns des autres. » Nous avons cette belle mission, très délicatement, avec beaucoup de patience, de nous enlever les bandelettes les uns des autres. Je rends grâce à Dieu pour la patience que nous avons à développer, à mettre en œuvre dans tous nos services quotidiens. C’est admirable, tous ceux qui s’occupent de leurs enfants, des membres de leur famille, de ceux qui sont malades, des professeurs qui aident leurs élèves quel que soit le niveau (primaire, collège, lycée, université, grand séminaire) et tous ceux qui passent des coups de fil pour s’entraider, par exemple pour expliquer comment fonctionne internet. Et faire l’expérience que nous avons parfois tellement de mal à vivre dans cette patience.

Seigneur, donne-nous ta patience, donne-nous la grâce de ne pas nous étonner que parfois tu sembles être en retard ou dormir. Mais c’est pour creuser en nous la patience. C’est la grâce que tu nous donnes, il n’y a pas de condition. Tu ne nous dis pas « Quand vous serez patient, je viendrai », mais ce retard que tu sembles prendre, c’est le temps où l’Esprit Saint agit en nous pour que nous devenions patients, pleins de compassion, de mansuétude, de douceur. Apprends-nous Seigneur ! Et viens faire grandir en nous la foi en la résurrection. Et pour ça, apprends-nous à présenter devant toi, comme on peut le faire au moment de l’offertoire, nos peurs, nos inquiétudes, nos doutes. N’affirmons pas trop vite notre foi sans avoir pris le temps de considérer que si nous avons la foi, nous avons besoin en même temps de ton secours, parce que nous sommes dans l’incroyance, nous sommes dans la difficulté d’aimer, et ce temps de confinement peut nous mettre en vérité face à nous-mêmes, pour que nous puissions nous présenter en vérité devant toi. Sois béni Seigneur pour nous donner ta vie, pour nous donner cette source, pour nous donner ta lumière, pour nous donner la Vie éternelle, ici et maintenant. Amen