Homélie du vendredi 27 mars 2020 – Père Gilles Rousselet

27 Mar 2020 | Actualité, Homélies

4ème semaine de carême (Sg 2, 1a.12-22 ; Ps 33(34), 17-18, 19-20, 21-23 ; Jn 7, 1-2.10.14.25-30)

Nous continuons à méditer avec l’évangile selon Saint Jean dans ce temps de carême, dans ce milieu de notre cheminement qui risque évidemment cette année, par la grâce particulière du confinement, de durer plus longtemps. Bénissons le Seigneur, présent avec nous dans ce temps de confinement, de nous conduire encore plus profondément à la rencontre avec Jésus.

Et justement dans l’évangile d’aujourd’hui, on a vraiment un contraste assez violent : d’un côté ceux qui habitent le cœur, l’entourage de Jésus, un petit noyau de ses disciples qui l’accompagne et qui reste, en tout cas jusqu’à un certain point, ouvert à sa grâce, à son enseignement. Même si l’enseignement de Jésus, et en particulier son enseignement en parole et en attitude, ne peut pas laisser indifférent. C’est d’ailleurs une des caractéristiques de cet évangile : profondément, il nous remet en question. Quelqu’un disait que l’évangile est polarisé : on ne peut pas dire qu’on est au contact de l’évangile si ça ne provoque rien en nous.  Et ce n’est pas étonnant que l’enseignement de Jésus, la vie de Jésus, provoque autant de troubles. Peut être vous rappelez vous de la prophétie de Siméon qui disait que par la venue, par l’incarnation de Jésus, beaucoup de ses pensées secrètes seront révélées. Nous voyons, dans l’évangile, ce qui se passe : un trouble profond, violent, dans le cœur de ceux qui l’écoutent.

D’ailleurs, on l’a comme par avance dans la prophétie de la première lecture, cette volonté de voir si ça tient. Est-ce que ça peut tenir ? Est-ce que son enseignement, est-ce que sa droiture, est ce que la vérité de ce qu’il est et de ce qu’il dit, en particulier sur l’Amour de Dieu qui pardonne et qui est totalement gratuit, est ce que c’est vrai ? Quand quelqu’un nous dit « je t’aime », parfois on fait cette expérience à certains moments de la vie, de pousser un peu, de chercher à voir si ça résiste. La période de l’adolescence est cette période où on va pousser un peu « Est-ce que tu m’aimes vraiment ? Est-ce que l’amour que tu annonces, que tu viens manifester, est vraiment solide ? » D’une certaine manière, c’est une façon de comprendre pourquoi il y a une telle violence exercée contre Jésus. Parce que ça remet tellement en question nos convictions, y compris que nous ne sommes pas dignes d’être aimés, ou que nous allons gagner le ciel par nos propres efforts, qualités, vertus, que si quelqu’un dit  « Le ciel, l’héritage, t’est donné de manière totalement gratuite », on va chercher à vérifier… C’est une expérience que nous faisons tous : il y a une part un peu de provocation : est ce que ça tient vraiment ?

Et en même temps, parmi les pensées secrètes, il y a « nous savons d’où il vient »  Les certitudes que nous pouvons avoir sur qui et comment doit être le Messie et comment il doit agir, nous empêchent vraiment de l’accueillir tel qu’il est. Il y a un passage de l’évangile où les disciples accueillent Jésus dans la barque « tel qu’il est ». Un dominicain a écrit un livre « Laisse Dieu être Dieu en toi » : ne pense pas que tu peux maîtriser les choses par ta raison, ta pensée ; ta pensée doit être soumise à la pensée de Dieu. C’est un aspect qu’il faut vérifier !

Et il y a d’autres manières, d’autres attitudes qui vont provoquer ce trouble qu’on perçoit bien dans l’évangile. On a beaucoup entendu parler, et je pense que ce n’est pas fini, du cléricalisme, cette appropriation de l’autorité que Dieu donne en la détournant de lui. Ça veut dire  que cette autorité écrase les autres. Nous nous approprions ce que Dieu nous a donné à notre propre profit. C’est encore une manière qui explique le trouble qu’il y a en nous, et le trouble que nous provoquons chez les autres. Quand nous remettons en cause l’autorité de l’Eglise, quand nous remettons en question ce que l’Eglise enseigne du Christ, qu’est que ça provoque ? Et sûrement un certain nombre d’entre nous l’avons vérifié, ça provoque le trouble. Nous ne savons plus sur quoi nous appuyer, au nom de ce que nous croyons savoir, de ce que nous croyons pouvoir dire de lui. Alors qu’il s’agit d’être comme la Vierge Marie « Qu’il me soit fait selon ta Parole ». C’est vraiment important que nous vérifions dans notre vie si nous nous laissons faire par la Parole de Dieu, si elle nous transforme vraiment. Et ce qui va vérifier cela, c’est que mon enseignement est en rapport avec ce que je vis. Quel que soit le sujet abordé, ma vie est-elle en conformité avec ce que j’annonce ?

La deuxième chose est comme en contraste : on sent bien ce trouble dans la foule qui entoure Jésus ; et d’un autre côté, l’attitude intérieure de Jésus qui commence à monter à Jérusalem en secret et au milieu de la semaine, va enseigner. On perçoit bien que Jésus est venu pour cette heure. C’est pour cela qu’ils ne peuvent pas l’arrêter, parce que son heure n’est pas encore venue. L’évangile selon Saint Jean a commencé de cette manière : quand Marie dit à Jésus « Ils n’ont pas de vin », Jésus répond «Mon heure n’est pas encore venue ». Jésus est vraiment venu pour cette heure, il est l’homme totalement livré.

La question que l’on peut se poser et dont la réponse, pas la mienne mais celle de l’Ecriture, va être une lumière extraordinaire pour notre cheminement et notre vie intérieure est : sur quoi est fondée l’autorité de Jésus ? Sur quoi est fondée son humilité ? Sur quoi est fondée sa liberté ? C’est simple et nous le savons dès le début de l’évangile : c’est fondé sur le fait que Jésus sait qu’il est le Fils de Dieu, il sait qu’il est le Messie. Ce qui fonde et nourrit son autorité, ce qui lui fait dire que sa nourriture, c’est de faire la volonté de son Père, c’est précisément qu’il est le Fils. Nous l’avons entendu dans le récit du baptême de Jésus dans le Jourdain. Le ciel s’ouvre, une voix se fit entendre qui dit pour lui et surtout pour nous : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en lui je trouve toute ma joie. » Quand Jésus est conduit au désert pour y être tenté par le diable, ce qui est remis en question, ce sur quoi le diable l’attaque, c’est précisément sa filiation : « Si tu es vraiment le Fils de Dieu, alors prouve-le ! » Ce qui fait la solidité de Jésus, c’est justement cette filiation. Elle nous est communiquée par notre baptême, c’est déterminant pour nous. Si nous voulons être vraiment dans la liberté et la vérité, cherchons en permanence, laissons la Parole de Dieu, laissons la prière, laissons l’Esprit Saint nourrir notre filiation. C’est ce que Jésus est vraiment venu rétablir : notre filiation. Quand il nous guérit, quand il nous libère, il veut enlever tous les obstacles qui nous empêchent de vivre notre identité d’enfant de Dieu. A notre baptême, nous avons reçu cette identité, elle a été marquée comme un sceau que rien ne peut enlever. Nous pouvons nous détourner de cette identité parce que le diable nous remet aussi en question, il nous attaque comme il a attaqué le Christ lui-même. Et le Christ nous a montré comment nous pouvions être vainqueurs de cette tentation : en nous appuyant sur la Parole de Dieu, en demandant à l’Esprit Saint, le père des pauvres, de venir à notre secours. En demandant à la Vierge Marie de nous garder dans cette filiation : « Voici ta mère » nous a dit Jésus. Accueillons Marie dans notre vie pour qu’elle nous établisse fermement dans cette filiation et qu’elle la nourrisse.

Pour finir, voici un passage de la Joie de l’Evangile du Pape François : « La joie de l’Evangile remplit le cœur et toute la vie de ceux qui se trouvent avec Jésus. »

Seigneur Jésus, nous te demandons en ce temps du carême de nous révéler qui tu es, pour que nous sachions enfin qui nous sommes. Le mystère de l’homme s’éclaire dans le mystère du Christ. C’est le Christ qui nous révèle ce qu’est être homme aujourd’hui (homme dans le sens homme et femme). Et demandons au Seigneur de nous donner son Esprit Saint, esprit filial qui a nourri la relation entre Jésus et le Père. Et l’Esprit Saint nous est donné pour que nous puissions dire que Dieu est notre Père, qu’il nous aime et que nous sommes ses enfants.

Demain, nous aurons cette célébration pénitentielle en prenant la parabole du Fils prodigue. Cheminons avec le Fils prodigue, nous sommes le Fils prodigue ! Nous avons perdu la filiation de bien des manières différentes et c’est précisément par le trouble que nous avons en nous que nous pouvons vérifier que nous avons perdu cette filiation. Et aussi par le fait que l’évangile ne provoquerait rien en nous.

Demandons à l’évangile d’être une lumière, une épée à double tranchant qui vient trancher jusqu’à la moëlle de notre conscience pour révéler que nous sommes de pauvres pécheurs et combien nous avons besoin de sa miséricorde. Amen