Homélie du mardi 17 mars 2020 – Père Gilles Rousselet

19 Mar 2020 | Actualité, Homélies, Non classé

3ème semaine de carême  – Dn 3, 25.34-43 ; Ps 24 (25) ; Mt 18, 21-35

En écoutant le refrain du psaume et ce que dit le prophète Daniel, je me suis demandé « Est-ce que Dieu pourrait être atteint de la maladie d’Alzheimer, avoir perdu la mémoire : « Rappelle-toi, Seigneur ta tendresse ! » Et tout ce que demande le prophète Daniel… Est-ce que finalement, l’intervention est de rappeler à Dieu ce qu’il a promis ? Quand on regarde toute la bible, c’est un grand livre de promesses : l’Ancien Testament, le Nouveau Testament et l’arrivée de Jésus est le plein accomplissement de la promesse .Jésus sur la croix dit « Tout est accompli ». Dans le récit de la Transfiguration, Moïse et Elie sont là, la Loi et les prophètes sont récapitulés dans la personne de Jésus. Alors pourquoi finalement ce rappel à Dieu ? Cette nécessité vitale pour tous les prophètes (je vous rappelle que par notre baptême, nous sommes prêtre, prophète et roi) de rappeler à Dieu l’accomplissement de ses promesses et sa miséricorde et lui rappeler notre situation comme s’il ne la voyait pas : «Regarde Seigneur dans quel état d’humiliation… »

Cette première lecture est magnifique car on a vraiment l’impression qu’elle est d’actualité ; « impression » n’est pas adaptée : toujours, la Parole de Dieu répond exactement à notre situation. C’est la grâce de la liturgie. C’est extrêmement important de vivre le Carême. Je me rappelle il y a quelques semaines, à Hosanna’M, j’avais dit que le temps du Carême est un temps privilégié parce que la liturgie accomplit ce qu’elle dit. Là, la Parole de Dieu intervient précisément dans notre situation. Quel émerveillement de voir que c’est vrai ! Il faut vraiment que ça nous donne l’habitude d’aller puiser dans la Parole de Dieu le sens même de notre vie. Je crois que c’est ça qui est important : quand le prophète dit « Rappelle toi Seigneur ! » c’est parce que dans cette proclamation, le prophète lui-même est travaillé par ce qu’il dit ; c’est nous qui avons besoin de redécouvrir comment Dieu a tenu sa promesse, comment il vient dans notre vie accomplir ce qu’il a promis : « Je vous ai promis. » Jésus signifie « Dieu sauve et Dieu guérit ». Dans l’acte même de proclamer les paroles, d’attirer l’attention en parlant fort, le prophète est quelqu’un qui parle  de telle manière qu’il va être entendu : une parole qui n’est pas vague, sans précision, pas adapté, qui dit dire la vérité (le seul qui dise vraiment la vérité, c’est le Christ). Est-ce que nous passons autant de temps à méditer la Parole de Dieu et si possible les lectures du jour, que nous avons passé de temps, hier, à écouter les discours à la télévision ? Et parfois en nous prenant bien la tête ! C’est important d’entendre les consignes ; mais en fait, le sens même de notre vie et de notre salut est dans la Parole de Dieu. Redécouvrir notre dimension prêtre, prophète et roi. Dans l’acte même de dire « Rappelle toi Seigneur ! », Dieu nous donne les paroles pour lui exprimer nos sentiments, non pas parce qu’il ne les connaitrait pas, mais parce que, justement, en nous donnant sa parole, les mots pour exprimer ce que nous ressentons, nous nous laissons travailler par la Parole que lui-même nous a donné.

Hier, nous avons fait cette procession depuis l’église de Saint Marceau, par St Jean le Blanc, jusqu’à St Denis, pas pour dire « Seigneur, regarde ce que nous vivons, descend, descend là ! » Nous avons besoin de nous rappeler que Dieu est toujours avec nous, sa présence est réelle. Il est avec nous et nous demandons à Dieu de nous bénir. Parce que dans cette situation, là, nous sommes en capacité d’entendre que Dieu veut nous bénir. Et de la recevoir pleinement pour qu’elle nous travaille. Et nous même,  nous devons être les relais. Quelle est la mission du chrétien ? Etre le relais de cette bénédiction de Dieu, dans un monde  qui est complètement désemparé, sans aucun repère.

Dans l’évangile, récit qu’il faut méditer, je me demandais quel était l’état d’esprit de Simon Pierre en posant cette question « Combien de fois dois-je lui pardonner ? » Vous savez qu’avant c’était la loi du Talion, «  œil pour œil, dent pour dent » C’était déjà l’accomplissement d’une justice par rapport à ce qui se passait avant. Mais là, la demande de Simon Pierre « Jusqu’à 7 fois ? » peut lui paraître énorme. Et s’il est maltraité par son frère à la 8ème fois, que va-t-il faire ? Il va attendre 7 fois, dire « attention, c’est déjà la 6ème, la 7ème sera la dernière !? » Jésus a cette réponse « 77 fois 7 fois », ça fait 490. Symboliquement, c’est sans arrêt. Tu pardonneras, parce que tu as été pardonné. Pardonné, infiniment… Et pour que nous comprenions bien, Jésus raconte une parabole, qui est  complètement déconcertante, mais qui est notre situation. On amène au roi un homme qui lui doit 10 000 talents 350 années de travail sans RTT,  et il lui doit cette dette. Nous devons cette dette à Dieu. Et l’homme est complètement dans l’illusion, puisqu’il dit à Dieu « laisse moi le temps de te rembourser. » C’est complètement aberrant ! Il n’a pas conscience qu’il restera irrémédiablement incapable de le rembourser. Et le roi lui remet sa dette. Dans le dictionnaire biblique, « remettre la dette », c’est annuler. La dette est annulée, il ne doit plus rien. Et l’homme qui lui doit infiniment moins, quelque chose qu’il pouvait lui rembourser, il l’étrangle en lui disant « tu me rembourseras jusqu’au bout ». Qu’est ce que cela cache ? Cela cache quelque chose d’essentiel : l’homme qui devait 10 000 talents n’a pas cru que le roi lui avait remis sa dette. Il ne s’est pas laissé transformer, entrer dans l’allégresse et la reconnaissance pour cette remise de dettes inconcevable. Et comme il ne l’a pas cru, ça n’a rien changé, rien !

Peut être que ce temps de carême va être pour nous l’occasion de méditer et d’accueillir ce que Dieu a fait pour nous en envoyant son Fils. Il a remis la dette, pas par un tour de passe-passe, mais en vivant la Passion, la mort et la résurrection. Il a remis la dette en offrant sa vie par Amour pour nous. Et souvent, nous ne le croyons pas, pas assez. Des fois nous disons « je n’ai pas beaucoup péché ! Pourquoi demander pardon ? » Et alors, on s’arrange en disant « je n’ai pas fait pire que les autres. Je m’arrange avec le Bon Dieu. » Et donc pour la dette que j’ai envers Dieu, comment croire et accueillir ce que Dieu a fait pour nous ? Aux soirées Bartimée, on a dit que le non pardon était un obstacle à la guérison. Pourquoi ? La sentence est «  tu ne peux pas être pardonné si tu ne crois pas que tu es pardonné ! » Ce n’est pas seulement que tu n’es pas pardonné parce que tu n’as pas pardonné à ton frère, mais ton attitude manifeste que tu n’as pas cru au pardon ! Alors, tu ne peux pas être guéri, tu ne peux pas recevoir le pardon de Dieu. Je ne suis pas capable d’accueillir le pardon de Dieu parce que je ne crois pas, que je n’ai pas conscience d’être pardonné. Demandons au Seigneur, en ce temps de carême, d’accomplir en nous le miracle de nous rendre conscient, pas d’être écrasé mais d’avoir conscience. Quelqu’un disait « tu as été pardonné il y a 2000 ans, mais tu n’en as pas conscience ! »

Thérèse de Lisieux disait « Rappelle toi Jésus, quand tu mourrais sur la croix tu pensais à moi. » Demandons au Seigneur, dans ce temps où nous avons le temps de retourner à l’essentiel, de faire le point sur notre vie. La Samaritaine était tellement touchée par Jésus lui disant ce qu’elle avait fait. Demandons à Jésus de nous dire ce que nous avons fait. Demandons-lui ! Nous n’allons pas être humiliés par le regard des autres, puisqu’il va y avoir tellement peu de monde. Laissons nous regarder le Seigneur, être mis à l’écart, isolé. Nous sommes en isolement pour que le Seigneur nous regarde et nous dise « Regarde ce que tu as fait ! » Pas pour t’écraser ou t’humilier, mais je te dis ça pour que tu entres dans la joie de la Samaritaine, que cette joie se manifeste par des fleuves  d’eau vive qui vont couler de ta vie. Et que, à la Pentecôte, sans doute la prochaine grande célébration que nous vivrons ensemble, que jaillisse de nos cœurs personnels et communautaires des fleuves d’eau vive, action de grâce de ce que le Seigneur a fait pour nous, en réponse à ce que nous avons fait, même si c’est l’Amour qui précède toujours le péché. Amen.